LE DÉFI DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE LA PROSPÉRITÉ

par Arthur Dahl

European Bahá'í Business Forum, Paris, France
http://www.ebbf.org
ISBN 2-911423-24-0


Les concepts de développement durable et de prospérité jouent un rôle fondamental dans le succès des entreprises et leur longévité. En effet, l’objectif final de toute entreprise pourrait bien être de générer de la prospérité dans le cadre d’un développement durable. La question est donc de savoir comment créer les conditions nécessaires pour y parvenir.

Prospérité

La notion de prospérité renferme de multiples dimensions et correspond non seulement au bien-être matériel mais aussi, et de plus en plus, au progrès social et même spirituel. Elle ne renvoie pas uniquement à la question de la fortune de chacun, aux dimensions de sa maison, ou à la marque de son véhicule. Cette notion inclut - ou devrait inclure - la « prospérité environnementale », qui peut être définie comme la préservation d’un environnement riche et productif. La prospérité doit également refléter la richesse des interactions entre les membres de la société et la dimension spirituelle du monde dans lequel ils vivent. Il nous faut donc commencer par reconnaître ces dimensions plus larges de la prospérité et faire correspondre notre approche du développement à cette prospérité multidimensionnelle.

Développement durable

Le terme de « développement durable » reste utile bien qu’il soit difficile à définir, sinon à traduire. Les Nations Unies font généralement référence à deux définitions usuelles du développement durable. L’une d’elles, qui découle des travaux de la Commission Brundtland, définit le développement durable comme le fait de satisfaire les besoins de la génération actuelle sans entraver la satisfaction des besoins des générations futures. La seconde définition, nommée Action 21 ou Agenda 21, fut négociée et approuvée en 1992 par la grande majorité des États présents au Sommet de la Terre de Rio. Organisé en 40 chapitres et 120 domaines d’intervention, l’Agenda 21 prend la forme d’un plan d’action pour parvenir à un développement durable.

Les définitions de ce terme sont si variées qu’il peut revêtir des significations très différentes d’une personne à l’autre, à tel point que certains considèrent qu’il serait nécessaire de le remplacer. Mais ce qui est essentiel dans toute la difficulté d’établir une définition du développement durable est qu’elle doit faire référence à la prospérité comme à un état, qui peut durer indéfiniment et s’appliquer à tous. Autrement dit, le développement durable se définit dans le temps et dans l’espace. Il ne concerne pas seulement une petite partie de la population mondiale, mais tout le monde, en tous lieux. Et non seulement aujourd’hui, mais également dans les temps à venir.

La durabilité est un concept très dynamique qui visent des procédés. Elle ne se situe pas à un moment donné dans le temps où nous aurions soudainement atteint l’état de développement durable. Prenons pour exemple le cas d’un avion en vol : tant qu’il y a suffisamment de carburant, les moteurs fonctionnent correctement et le pilote connaît la route, le vol est durable ; mais si un de ces éléments pose problème, le vol n’est plus durable, rendant ainsi la destination inatteignable. De la même façon, il doit y avoir suffisamment de ressources pour que l’économie continue à fonctionner. Toutefois, concernant la société, la durabilité nécessite la transmission de l’expérience et du savoir de génération en génération : l’éducation est donc une composante essentielle de cette durabilité. Sans notre connaissance actuelle, la génération suivante aurait à repartir de zéro. Si tel était le cas, la société à laquelle nous aurions abouti ne serait, en un mot, pas durable.

La durabilité comporte également une dimension institutionnelle. Cette dimension est elle aussi dynamique. Notre héritage institutionnel, entreprise public comme entreprise privé, doit être transmis aux générations suivantes. Ceci n’est pas automatique : de nombreuses structures et procédures peuvent bien fonctionner au début, mais leur but originel peut ensuite être perdu de vue et elles peuvent alors, ou bien disparaître, ou bien persister, vides de sens et bureaucratiques. Ainsi la durabilité signifie prendre en compte la dimension temporelle dans tous les aspects de la société.

On considère donc généralement que le développement durable recouvre des aspects économiques, environnementaux et sociaux et possède des groupes d’indicateurs reflétant l’évolution de chacun suivant le développement de la société. La composante éthique est moins apparente car elle est inclue dans la définition même du développement durable sous l’idée de relier les éléments pratiques ou matériels aux valeurs humaines. Prendre en compte les besoins de l’ensemble de la population mondiale et ceux des générations futures est un comportement éthique. Le concept selon lequel quoique nous fassions doit être fait pour les générations futures autant que pour la nôtre est une application du principe de justice. Parce que le développement durable combine la dimension éthique–spirituelle à la dimension matérielle, le « European Bahá’í Business Forum » le situe parmi les valeurs principales sous-jacentes à la responsabilité des entreprises.

Alternatives futures

Étudier des scénarios alternatifs permet de comprendre où va la société et l’importance du développement durable. Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement, en collaboration avec divers instituts de recherche, a produit des séries de scénarios. L’un d’eux est intitulé : « en avant comme avant ». Ce scénario suppose que l’on continue de vivre comme aujourd’hui et projette l’évolution de la situation cinquante ans plus tard. Le monde développé continuerait à fonctionner relativement bien, avec une classe moyenne allant en s’élargissant, les revenus augmenteraient et les entreprises feraient généralement du profit. Les perspectives à court terme n’ont pas un mauvais aspect non plus. Cependant, après cinquante ans, ce scénario montre comment le monde atteindrait d’importantes limites dans ses ressources, les ressources d’énergie fossile diminuant face à une demande croissante, et les ressources naturelles s’épuisant. A ce moment précis, la société atteindrait des limites critiques. Par la suite, l'avenir s’assombrit de plus en plus, l’économie se débattant pour gérer les effets de l’épuisement des ressources sur toute la planète.

Un second scénario, parfois appelé « le scénario de la forteresse », semblait plutôt extrême – du moins avant l’attaque terroriste du 11 septembre 2001 aux États-Unis. Ce scénario dépeint les pays riches cessant de s’occuper des problèmes de l’Afrique et d’une grande partie de l’Amérique Latine et de l’Asie. Plutôt que de traiter avec eux, ils se replient derrière leurs frontières qu’ils tiennent fermées à tout étranger et essaient de parvenir à une durabilité interne. Une telle approche pourrait séduire ceux qui voient en l’immigration la source de leurs problèmes et qui cherchent donc à protéger leur pays du reste du monde. Bien qu’envisageable, un tel scénario est-il réaliste ? Des pays peuvent-ils vraiment choisir de rester derrière des murs comme au Moyen Age, terrés dans un château sur une colline, des troupes sur les remparts prévenant d’éventuels intrus, pendant que le chaos et la confusion règneraient à l’extérieur ? A quelle sorte de vie pourrait-on s’attendre dans un tel scénario ? De toute évidence, à une vie très peu souhaitable.

Ces scénarios en suggèrent un troisième : une transition vers un type de société plus durable, conçue à une échelle mondiale. Les recherches sur des modèles basés sur un tel scénario démontrent que l’on peut, en réalité, faire les ajustements nécessaires à l’établissement d’une telle société. Nous avons suffisamment de ressources, si nous les redistribuons plus équitablement et si nous les utilisons plus efficacement. Les études montrent que, loin d’être une quelconque utopie absurde, nous pouvons réellement transiter vers un futur plus durable, à condition de commencer dès maintenant et de fournir un effort conséquent. Même d’un point de vue technique, cette option est tout à fait envisageable.

Une perspective systémique

Pour que cette troisième option prenne forme dans la réalité, nous devons d’abord repenser le concept de prospérité et le placer dans un cadre systémique. Nous devrions considérer le développement non pas simplement comme un état souhaitable de bien-être matériel, mais comme une série de processus permettant à la société dans son ensemble de progresser. Mais comment gère-t-on ces processus ? Un ingénieur systèmes sait qu'une production nécessite des systèmes de surveillance et de contrôle permettant de visualiser son le déroulement, ainsi que des mécanismes homéostatiques afin de contenir le processus dans les limites désirées. Le développement durable nécessite une sorte d’ingénierie système permettant de s’assurer que la société est bien conduite vers un futur plus durable.

Nous ne pouvons pas isoler l’aspect matériel du processus de développement, des aspects sociaux et environnementaux. La pollution, par exemple, s’infiltre partout et ne peut être ignorée. Il n’y a aucun moyen de nous affranchir de cette réalité. Nous ne pouvons pas non plus nous écarter de la dimension sociale, ainsi que l’ont démontré les attaques du 11 septembre. Quelques soient les efforts que nous fournissons pour nous maintenir à distance des problèmes sociaux et économiques et des crises à l'étranger, d’une façon ou d’une autre, ils nous rattraperont à un moment donné. Ce qui veut dire que toute tentative visant le développement durable et la prospérité doit être large, englobante et mondiale. Il n’y a aucun moyen de compartimenter un aspect et d’ignorer les autres. Une grande part des remises en question actuelles dans le monde occidental semble émerger de la prise de conscience qu’il n’est plus possible d’ignorer les problèmes. Nous devons essayer de trouver des solutions. Au un niveau planétaire, il n’existe pas de problèmes extérieurs.

Dans une perspective de processus, le système doit être envisagé à de multiples niveaux. La durabilité doit être atteinte au sein de l’entreprise, du secteur, de la communauté, de la nation et à travers le monde. Les systèmes doivent gérer les problèmes de durabilité à chacun de ces niveaux. Ceci implique de concevoir un système d’opération à plusieurs niveaux et de créer une série de processus de contrôle et de feedback ainsi que des mécanismes de guidage à chacun des niveaux.

De toute évidence, les mécanismes de guidage des processus pour les humains et la société humaine ne sont pas des thermomètres, instruments, jauges, ou autres du genre. Ils reposent plutôt sur des valeurs. Nos valeurs conditionnent nos relations et fournissent les signaux de contrôle fondamentaux conduisant les programmes opérationnels de la société. Aussi, si nous voulons modifier la société ou ajuster les programmes de contrôle, nous devons modifier les valeurs de base. Au niveau sociétal, les valeurs correspondent au code génétique dans un système biologique : les instructions données contrôlent les processus opérationnels. En biologie, les gènes déterminent quelles molécules opèrent avec quelles sortes de structures. Dans la société, les valeurs déterminent quand, comment et avec qui les interactions humaines se produisent.

Des travaux récents en programmation informatique ont révélé des approches pertinents sur le comportement pertinent des systèmes complexes. Lorsque des logiciels deviennent tellement volumineux et compliqués que les programmeurs ne parviennent plus à les gérer, ils construisent un réseau « neuronal » reliant un grand nombre d’ordinateurs avec des règles opératoires et des procédures simples, et avec lequel ils répètent la sélection des solutions les mieux adaptées. Après quelque temps, la solution optimale évolue. La biologie fonctionne de la même manière : il n’y a pas de planificateur central qui sélectionne quels organismes devraient interagir, ou comment ils devraient évoluer quand l'environnement change. La planification centrale n’est pas un mode de gestion adapté à des systèmes complexes, ainsi que l’a amplement démontré l’expérience communiste.

Le rôle des valeurs

Tout effort visant à améliorer les relations humaines, les structures humaines ou les institutions humaines doit en premier lieu s’intéresser aux valeurs de base. D’une certaine façon, le seul planificateur central pour la société humaine est Dieu, qui à travers l’histoire, a programmé l’humanité au moyen d’une série de religions régissant le développement des interactions sociales. Le travail de Dieu a consisté à parvenir dès le début aux bonnes règles ; les lois physiques et biologiques témoignent de cette réussite. Toutefois, ce travail demeure incomplet au niveau humain : les lois sont parfaites, mais l’application en fait défaut. Nous n’avons pas appris à « les programmer » en nous avec suffisamment d’efficacité pour faire fonctionner la société comme Dieu le voulait. Ceci constitue notre véritable défi aujourd’hui.

Si l’on observe nos systèmes économiques et d'affaires professionnels sous l’angle de cette nouvelle perspective, nos règles et valeurs actuelles semblent souffrir d’un sérieux dysfonctionnement. Elles nous conduisent dans des directions extrêmement peu durables, autant dans le domaine environnemental que social. Elles ne sont pas éthiques. Leurs valeurs sous-jacentes puisent leurs racines dans la vision darwinienne du 19ème siècle selon laquelle seules survivent les espèces les plus fortes. Suivi jusqu'au but, les implications de telles valeurs sont donc inacceptables en termes humains. En termes purement économiques, les sans-emploi et les handicapés ne devraient pas être aidés car ils représentent une charge pour la société, sans même contribuer à la production.

Il y a l’exemple récent du de ce rapport adressé par une société de l’industrie de tabac au gouvernement tchèque, qui stipulait que l’usage du tabac devrait être encouragé car des décès précoces permettraient des économies substantielles en retraites et dépenses de santé. Lorsque ce rapport fut rendu public, la compagnie s’excusa et le retira, mais l’épisode illustre bien les problèmes éthiques qui sous-tendent une réflexion purement économique.

Le cas divulgué du mémo rédigé par un officiel de la Banque Mondiale est un autre exemple. Il proposait de déplacer les industries polluantes des pays riches et développés dans les pays pauvres en voie de développement où, suggérait-il, la vie humaine avait une valeur moindre et la pollution y serait moins coûteuse pour l’économie. Même si l’auteur du mémo fut motivé par un sens de la satire, ça ne diminue en rien la pertinence purement économique d’un tel point de vue.

En résumé, la pensée économique ne peut pas ignorer les dimensions éthiques, morales et spirituelles du monde dans lequel elle opère. Et pourtant, notre société est structurée et nos institutions sont construites pour fonctionner sur de telles bases à court terme. Les entreprises ne sont pas tenues de rendre compte sur leurs valeurs morales, seulement sur leur profitabilité. Leurs dirigeants sont uniquement jugés sur ce critère très limité. Il est alors peu étonnant qu’ils se livrent parfois à des actes extrêmement dommageables pour l’ensemble de la société.

Les problèmes du système actuel

Notre société actuelle connaît de profonds problèmes structurels et institutionnels que nous devons reconnaître et parvenir à résoudre. Nous devons modifier les valeurs et les principes opérationnels de base des structures de notre société si nous voulons évoluer vers plus de moralité, d’éthique et de spiritualité. Par exemple, parce que le système économique ne valorise que ce qui est commercialisé ou vendu au marché, tout le reste est considéré comme des externalités sans importance pour l’analyse économique. Un problème majeur de l’économie est qu’elle tient des comptes inadéquats. En ne prêtant attention qu’à ce qui a une valeur monétaire, l’analyse économique passe à côté de la majorité de ce qui se passe dans la société. Cette attitude est comparable au fait de vouloir s’occuper d’une automobile en se contentant de remplir le réservoir d’essence, en ignorant tous les autres éléments nécessaires au maintien de son état de marche. De plus, la société suit les mauvais indicateurs économiques. Prenons une mesure comme le Produit National Brut. Le PNB est largement assimilé à la prospérité : un PNB plus élevé signifie une plus grande prospérité. Cependant, le PNB croît aussi parce que plus de gens souffrent des effets de la pollution sur la santé, il croît si le nombre d’accidents automobiles augment nécessitant des réparations, des remplacements et des traitements médicaux. Ainsi, le PNB n’est pas une mesure précise de la prospérité et ne devrait pas être utilisé pour l’estimer. L’utilisation d’indicateurs monétaires est également inadéquate. On entend trop souvent les gens dire « plus d’argent, c’est plus de prospérité ». Mais vous ne pouvez pas manger l’argent. Si la nourriture vient à manquer, l’argent n’a plus aucune valeur. Ni l’argent ni le profit ne peuvent mesurer le bonheur et le bien-être humain.

L’importance que les économistes attachent à la croissance est aussi un problème. Selon eux, la croissance est nécessaire au succès : une compagnie se doit de croître, l’économie doit être en expansion. Mais la planète est un système limité, et tôt ou tard, nous allons atteindre ses limites environnementales. L’économie ignore aussi les limites sociales, sans compter les échelles optimales de fonctionnement. Chaque organisme a une taille optimale spécifique. Les entreprises qui deviennent trop grandes doivent soit se diviser en centres de profit, soit faire faillite, ce qui se produit parfois, ou bien elles sont rachetées et divisées en éléments plus faciles à gérer. Pour chaque système, il existe une certaine taille optimale. Mais l’économie n’est pas très sensible aux échelles. Elle vise la croissance, sans tenir compte de son impact sur l’ensemble du système.

Un problème qui y est rattaché est le consumérisme : la pression, à travers la publicité et autres exhortations, pour sortir et acheter, acheter, acheter pour entretenir l’économie. Une expression américaine illustre cette priorité mal placée « Quand les temps deviennent durs, les durs font les magasins ». Un système qui pousse les gens à acheter des choses dont ils n’ont pas besoin, dans un monde aux ressources limitées où des gens souffrent de la famine, est un système dans lequel quelque chose de structurel et de fondamental ne fonctionne pas bien.

L’incitation à augmenter la productivité est un autre problème où la logique des décisions individuelles a un impact collectif pervers sur la société. Accroître la productivité est un impératif économique. Une compagnie doit augmenter sa productivité et réduire ses coûts de production pour augmenter sa profitabilité. Pour autant, ce schéma ignore le fait que les employés sont aussi des consommateurs. Si le nombre d’individus percevant des salaires décroît, ce sont autant de consommateurs en moins achetant des produits et des services. Cela revient à scier la branche sur laquelle on est assis. Pour réellement profiter à l’économie, pourquoi ne pas chercher à faire de tous des consommateurs en assurant un plein emploi. Au lieu de cela, la prise de décision dans le monde des entreprises s’inscrit dans une direction contraire. Elle est encouragée par un autre problème structurel des économies de l’ouest : la privatisation de l’emploi et la socialisation du chômage. Autrement dit, les entreprises réduisent leurs coûts de production à court terme en transférant au gouvernement le coût de l’entretien des travailleurs sans activité. Un tel système à court terme ignore l’importance du travail, à la fois comme contribution à la société et comme obligation spirituelle.

Les problèmes liés à la mondialisation soulèvent une controverse croissante. La mondialisation a libéré les mouvements de capitaux et l’Organisation Mondiale du Commerce a pour mandat de globaliser les mouvements de biens et de services. Cependant, nul n’ose parler de la troisième dimension essentielle de la mondialisation, la libre circulation des personnes. Une telle liberté de mouvement permettrait un équilibre global en réduisant les disparités entre pays riches et pays pauvres. En effet, si un pays ne souhaitait pas voir les pauvres traverser ses frontières en masse, il financerait leur maintien dans leur pays d’origine. Comme rares sont ceux qui aiment quitter leur maison s’ils peuvent l’éviter, cela deviendrait une puissante force de redistribution plus équitable des ressources. Cela permettrait également de rétablir un équilibre entre les populations et les ressources environnementales. Les populations pourraient migrer vers des régions les plus riches en ressources et les développer. A l’inverse, les zones où les ressources sont insuffisantes pourraient être désertées. Si, en raison des bouleversements climatiques, le grenier à grain qu’est le Middle West américain devenait désertique et la Sibérie fertile, devrions-nous attendre plusieurs générations de russes pour peupler la Sibérie de fermiers, ou permettrions-nous à des fermiers céréaliers expérimentés venus des États-Unis de s’y installer ? Notre défi sera donc de résoudre les problèmes relatifs aux déplacements des capacités à soutenir des populations à travers le monde, car elles constitueront une part croissante de la dynamique dans les années à venir.

Le système économique ignore ainsi les pauvres. Puisqu’ils ne sont pas des consommateurs, les pauvres sont exclus ou oubliés. Leur présence illustre une série d’importants échecs des mécanismes actuels de redistribution de la richesse dans notre société. Toute société développée considère les extrêmes de richesse et de pauvreté comme inacceptables. Bien évidemment, les pauvres ne peuvent pas être abandonnés à mourir pendant que les riches marcheraient sur leurs corps ; aussi s’efforce-t-on au moins de faire en sorte que les pauvres restent hors de notre champ de vision. Il existe cependant un principe moral plus élevé, requérant un minimum de partage des richesses, dont des systèmes d'impôts. Néanmoins, il est possible d’échapper à la taxation. La globalisation aidant, la création de richesse est de plus en plus déclarée, non pas dans les pays aux systèmes de taxation forts, mais aux Iles Caïmans, à Vanuatu et autres dénommés paradis fiscaux. Une telle évasion fiscale est logique dans un système où la première priorité est de maximiser les profits. De plus en plus, les multinationales retirent leur création de richesse réelle d’endroits surtaxés, échappant ainsi aux mécanismes qui permettent la restauration de l’équilibre social. L’effondrement des mécanismes de redistribution de la richesse constitue une des crises les plus profondes associées à la mondialisation aujourd’hui.

En outre, le système économique actuel ne donne pas une priorité significative aux besoins des pauvres. Là où n’existe pas de perspective de profit, il n’y a pas de marché et, par là même, pas d’intérêt commercial. Par conséquent, il y a peu d’incitation financière à développer des médicaments permettant de combattre les maladies des pauvres, qui n’ont pas les moyens de les acheter. Des alternatives existent entre des technologies de pointe vendues à des prix élevés et ces technologies que les gens peuvent fabriquer pour eux-mêmes à un coût relativement faible. Les principaux efforts des entreprises portent sur des produits qui génèrent des profits. Aucun mécanisme n’encourage les gens à utiliser des technologies é faire soi-mêmes parce quils ne créent pas de marché. C’est l’incitation au profit et non le bien-être des gens ou le bénéfice global à l’humanité, qui pousse le développement vers les technologies de pointe.

Concernant la durabilité environnementale, le système économique ne gère pas efficacement la plupart des problèmes environnementaux. Son fonctionnement est basé sur des échelles de temps et d’espace inappropriés. Le système économique opère à très court terme, alors que la plupart des problèmes environnementaux s’étendent sur du long terme et à une échelle planétaire. Les entreprises ne traitent que des fragments de ces problèmes. Aucun mécanisme ne rassemble les différents comportements individuels des entreprises permettant une vue d’ensemble. Il en résulte une inadéquation dramatique au moment de gérer des problèmes à grande échelle tels que l’accumulation de gaz carbonique, le trou dans la couche d’ozone, les polluants organiques persistants, la gestion des sols et de l’eau, etc. Trop souvent le système économique ne parvient pas à s’attaquer aux questions essentielles parce qu’il tente de les gérer sur la base d’échelles de temps et d’espace inadaptées.

Un autre sujet d’inquiétude croissante concerne la propriété intellectuelle. En termes économiques, nous assistons à une nouvelle « privatisation » des « biens communs ». Les entreprises recherchent des possibilités de faire de l’argent en achetant (ou privatisant) l’information (les communs) qu’elles peuvent alors vendre en réalisant du profit. Cependant, contrairement à la plupart des produits, plus l’information est partagée, plus sa valeur est grande pour la société. L’information sur la bonne gestion des sols, par exemple, peut être vendue comme un produit aux seuls fermiers qui en ont les moyens, laissant les autres fermiers continuer à user de pratiques agricoles destructrices. De toute évidence, il serait bien plus bénéfique de rendre cette information disponible à tous ceux qui peuvent l’utiliser. Ceci nous mène à une confrontation entre deux importants systèmes de valeurs distincts.

En agriculture, deux systèmes opèrent simultanément : d’une part, les institutions du Groupe Consultatif pour la Recherche Agricole Internationale ; de l’autre, les grandes firmes multinationales de l’agro-industrie. Les instituts de recherche ont créé la Révolution Verte depuis des années avec le soutien financier de la Fondation Rockefeller, de la Banque Mondiale et d’autres sources institutionnelles. Les instituts conservent des banques de gènes pour diverses plantes, partageant librement les ressources génétiques à travers le monde. Ils obtiennent par croisement de nouveaux plants adaptés à une grande variété de conditions présentes sur la planète. Comme le montrent les résultats de la Révolution Verte, ce système de partage de l’information fonctionne très efficacement, permettant d’améliorer la nutrition et de réduire la faim dans le monde.

Comparons ce bilan à celui des compagnies agro-industrielles, qui achètent et brevettent des ressources génétiques pour produire des plants qui génèreront un maximum de profit, parce que les entreprises ne vendent pas seulement les graines, mais aussi les herbicides, pesticides et engrais nécessaires à optimaliser leur rendement. Elles peuvent alors vendre le package « taille unique » aux fermiers du monde entier, en minimisant les coûts et en maximisant les profits. Alors que des variétés uniformes peuvent se développer dans des conditions idéales, elles sont vulnérables aux maladies nouvelles ou plus résistantes. Une année, une épidémie ravagea soudainement le maïs dans le Middle West américain parce que les mêmes graines hybrides avaient été semées partout. Cette approche est mal orientée. Bien qu’elle puisse à court terme accroître les bénéfices des firmes agro-industrielles concernées, elle rétrécit la base génétique de nos principaux plants alimentaires et, par conséquent, n’est pas écologiquement durable.

Ces deux systèmes opèrent simultanément et se fondent sur deux approches de la propriété intellectuelle diamétralement opposées. Le premier la privatise afin de générer le meilleur profit pour l’entreprise propriétaire. Le second rend l’information disponible pour le bien de toute l’humanité. Il en résulte d’importants conflits en termes de valeurs morales, de principes éthiques et de pratiques courantes – conflits qui devraient pousser le monde des affaires à réfléchir.

Les questions soulevées par ces problèmes sont fondamentalement éthiques. Comment peut-on encourager une nouvelle fondation morale, éthique et spirituelle dans le domaine économique ? Comment peut-on établir de nouvelles règles de base pour le monde des affaires afin de l’aider à contribuer à une société plus durable ? Comment peut-on créer un cadre légal et institutionnel plus large au sein duquel les entreprises pourraient faire face au problème de la fragmentation des responsabilités et de l’inadéquation ou de l’absence de responsabilité morale et éthique ? Les origines du problème sont enracinées dans les structures mêmes des institutions économiques. Il faut explorer les moyens de maintenir la vitalité des structures des entreprises et leur capacité à évoluer rapidement, mais dans un cadre construit sur la base de valeurs éthiques, morales et spirituelles qui aideront le système à fonctionner efficacement pour la société dans son ensemble.

De nouvelles valeurs pour l’entreprise

Examinons ensemble les valeurs et principes opérationnels nouveaux et nécessaires qui seraient à la base d’une société plus durable. A un niveau individuel, elles sont déjà apparentes : si nous voulons améliorer les relations humaines, nous avons besoin de plus d’amour, de davantage d’altruisme. Nous avons besoin d’un sens de la justice, d’une volonté de partager les richesses et de faire des sacrifices. Nous avons besoin de solidarité envers la race humaine et d’un sens du service envers toute l’humanité. Nous avons besoin d’une éthique de travail basée sur des principes spirituels. Nous avons également besoin de modération et de savoir se contenter de moins de biens matériels. Si nous voulons atteindre la durabilité, si nous voulons partager les ressources efficacement à travers le monde et permettre à chacun de se développer de telle sorte que la richesse soit accessible à tous, nous devons changer nos valeurs relatives aux biens matériels et choisir de voir la richesse redistribuée de façon à réduire les dangereux extrêmes de richesse et de pauvreté. Nous devons devenir dignes de confiance et plus respectueux envers la création et tout notre environnement. Au niveau individuel, plus nous renforcerons ces valeurs en chacun de nous, plus nous serons équipés des bons principes opérationnels pour construire une société durable.

Ceci est également vrai dans le domaine institutionnel, car ces mêmes valeurs s’appliquent au monde des entreprises. Nous pouvons créer, au niveau de l’entreprise, un sens du service à la société et reconnaître que les entreprises n’existent pas seulement pour faire de l’argent, mais aussi pour servir la société. Nous pouvons encourager la valeur du service dans les entreprises. Les systèmes économiques peuvent facilement s’adapter à une orientation de service, mais uniquement si le but s’étend au-delà de la recherche du profit. Si tel est le cas, la force motrice des entreprises devient bien plus constructive qu’elle ne l’est actuellement.

Le principe de justice s’applique également dans les affaires. Ces applications incluent le partage des profits avec tous les travailleurs de l’entreprise et leur implication dans la prise de décision. La justice peut aussi s’appliquer à des éléments aussi prosaïques que les taux d’intérêt. L’Islam interdit l’usure et aux débuts de la Chrétienté, faire payer des intérêts était prohibé. C’est pour cette raison que les Juifs, n’étant pas soumis à ces mêmes restrictions religieuses, pouvaient faire de l’argent là où personne d’autre n’y était autorisé. Bahá’u’lláh, le fondateur de la Foi Bahá’í, permit un niveau modéré d’intérêt, suggérant qu’il existe un certain niveau d’intérêt qui correspond au risque légitime du prêteur, aux gains de productivité, à la création de richesse, etc. Les intérêts appliqués au-delà de ce niveau de risque légitime pourraient en réalité dissimuler l’exploitation de pauvres travailleurs ou des coûts transférés aux générations futures ou à d’autres régions du monde. En bref, des taux d’intérêt élevés sont davantage susceptibles de dissimuler une certaine forme d’injustice au sein du système économique.

Les entreprises doivent également prêter plus d’attention à la gestion durable des ressources naturelles. Celles-ci devraient être comptabilisées comme des capitaux. Comme dans la gestion de tout autre compte capital, les pertes nettes doivent être évitées. L’activité de l’entreprise ne devrait pas produire de perte nette pour aucun de ses comptes capitaux, que ce soit des comptes économiques, des comptes humains ou des ressources. De la même façon, les entreprises devraient éviter tout transfert net de coûts, ou pertes de capital, au détriment des générations futures ou d’autre régions du monde. Les comptes de chaque génération devraient au final être équilibrés. Ceci exige évidemment de nouveaux systèmes de comptabilité nous permettant de calculer ces différents comptes et constitue un grand défi pour notre société.

Les activités économiques doivent aussi respecter les limites des systèmes vitaux de la terre et les processus écologiques. Parce que nombre de ces processus sont planétaires, les respecter exigera d’instaurer de nouvelles institutions mondiales pour les gérer à cette échelle. Ceci représente un autre défi majeur auquel nous devons faire face.

Considérons les mécanismes du marché pour montrer comment les valeurs influencent le système économique. Les marchés sont basés sur la compétition, et bien trop souvent aussi, sur quelque forme de manipulation. Un vendeur de voitures d'occasion pourrait, par exemple, dissimuler le fait que le véhicule qu’il cherche à vendre à un prix le plus élevé possible a été impliqué dans un accident qui a généré des dommages non visibles pour l’acheteur potentiel. Dans des secteurs où il y a peu de compétiteurs, une entente sur les prix peut aussi s’organiser, augmentant les revenus de chacun des participants à l’arrangement. Retirez les valeurs éthiques ou une régulation extérieure efficace et les marchés pourraient paraître plus compétitifs qu’ils ne le sont en réalité, de la même façon que la voiture endommagée peut paraître mieux qu’elle ne l’est vraiment. Mais les marchés fonctionnent mieux s’ils se basent sur des principes de confiance et de consultation ouverte. La théorie des marchés se fonde sur la condition d’une information parfaite, or l’information disponible est rarement parfaite. Les prix seraient fixés plus justement, par exemple, si le vendeur partageait ouvertement le coût réel de production et l’acheteur dressait un portrait honnête de son besoin pour le produit. La consultation permet d’établir un prix qui est un juste équilibre entre les coûts du vendeur et les besoins de l’acheteur. Ainsi, le marché fonctionnerait plus efficacement s’il y régnait un esprit de collaboration et de consultation plutôt que l’esprit de compétition actuel visant à faire toujours mieux que les autres. En résumé, ce ne sont pas tant les mécanismes du système économique qui sont incorrects, mais les valeurs qui les sous-tendent. Si nous souhaitons développer des mécanismes plus durables pour la société, ces valeurs devront être remplacées ou ajustées.

Vers une société plus durable

Comment appliquer ces valeurs pour rendre la société plus durable ? Pour dépasser l’actuelle dynamique de prise de décisions si fragmentée, nous avons besoin de davantage de mécanismes consultatifs parmi les entreprises et entre les entreprises et les gouvernements. Pour prendre des décisions qui impliquent tous les systèmes et toutes les ressources, nous avons besoin de concevoir des mécanismes et des processus rendant possible la consultation entre l’ensemble des parties. La consultation et la communication offrent des moyens de dépasser la fragmentation de la société en domaines isolés, où chacun cherche à maximiser son propre champ d’action sans collaborer avec les autres domaines.

Nous devons trouver les moyens de prendre des décisions dans une perspective planétaire, puisque nous sommes face à un système mondial. La planète Terre est un seul pays et nous devons donc pouvoir intégrer la prise de décision à tous les niveaux : international, national, régional et local. Nous devons également redistribuer les responsabilités entre ces différents niveaux. Jusqu’à présent, elles étaient excessivement centralisées au niveau des gouvernements nationaux et des firmes multinationales. De nombreux systèmes fonctionnent plus efficacement lorsqu’ils délèguent des responsabilités à des unités plus petites. Cela veut dire donner de la responsabilité aux communautés ou aux utilisateurs de ressources au niveau local, ou bien la déléguer à de petites unités au sein d’une entreprise, comme aux centres de profit ou de programmes de contrôle qualité. Ainsi, nous devons repenser nos organisations institutionnelles et concevoir des façons d’appliquer le principe que l’Union Européenne nomme la « subsidiarité », en redéfinissant le système. Ce point s’applique de la même manière aux entreprises et à la société dans son ensemble.

Évidemment, il existe déjà des structures mondiales, que ce soit des multinationales ou des organisations internationales comme l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). L’OMC, dont le pouvoir est très étendu, peut imposer des sanctions si nécessaires lorsqu’elle intervient pour résoudre des conflits commerciaux entre ses États membres. Mais nous manquons d’un équilibre global entre les différents secteurs : il n’existe pas d’OMC de l’environnement par exemple, seulement quelques principes généraux. Parce que nous manquons d’équilibre dans nos institutions mondiales, nous sommes témoins de pressions et de tensions à chaque réunion de l’OMC.

De plus, parce qu’il n’existe pas de système de taxation mondial, nous ne disposons d’aucun moyen de financement de la gouvernance mondiale. Les Nations Unies doivent quémander aux gouvernements nationaux l’argent qu’il leur est nécessaire pour accomplir leur mission dans le monde. En effet, chaque trésorerie va privilégier ses priorités nationales, en vue généralement de la prochaine élection. Ce n’est pas une façon de gérer la société à l’échelle planétaire. Nous devons trouver de meilleures façons de traiter les questions de taxation et de redistribution à ce niveau. Ces questions sont parmi les principales faiblesses de nos institutions internationales actuelles.

Le monde des affaires a besoin d'un système équitable à l’échelle internationale. Les entreprises ont des difficultés à traiter avec des régulations différentes, des systèmes corrompus, etc. C’est donc dans l’intérêt des entreprises de renforcer les mécanismes mondiaux et d’établir une aire de jeu aux règles uniques. Afin de parvenir à cet objectif, il serait raisonnable que les entreprises paient des taxes, en supposant bien sûr que ces taxes soient appliquées équitablement. Des responsables d'entreprise plus éclairés soutiendront l’instauration d’institutions internationales efficaces, puisque ces institutions seront favorables aux affaires. Les gouvernements y sont réticents par peur de voir leur pouvoir s’amoindrir et leur souveraineté nationale s’effriter. Ainsi, le leadership doit venir d’ailleurs. Les entreprises sont, pour plusieurs raisons, bien placées pour mener cet effort de construction de nouvelles structures dont nous avons tous besoin pour rendre ce système plus efficace à l’échelle mondiale.

Nous devons également nous pencher sur toutes les questions liées au bien-être social et à la redistribution des richesses. Les nouvelles technologies de l’information rendent intolérables ces genres d’inégalités et d’injustice qui perdurent depuis des générations à cause de l’ignorance. Quand les pauvres peuvent voir, via la télévision satellite, comment vivent les riches (souvent à travers un regard hollywoodien), ils observent des différences extrêmes entre ces deux modes de vie. Est-il alors vraiment surprenant que des gens explosent des avions dans des buildings et se tuent en martyrs parce que ce dont ils sont le témoin à travers les technologies de l’information actuelles n’est tout simplement plus tolérable ? De ce point de vue, la technologie nous conduit vers une plus grande justice sociale. Ce qui manque sont des mécanismes permettant de réaliser une justice sociale à l’échelle mondiale.

Nous devons également trouver des moyens d’équilibrer tous les comptes, non seulement au sein des entreprises et des États-Nations, mais aussi mondialement. Et ces comptes, qu’ils soient sociaux ou environnementaux, sont sérieusement déséquilibrés. Nous sommes ici confrontés à un immense défi, auquel les catastrophes et les crises nous contraindront à répondre si nous n'arrivons pas à le surmonter grâce à une volonté consultative librement choisie. Actuellement, nous semblons être davantage assaillis par les crises et les catastrophes que bénéficiaires de la volonté bénévole. Mais le potentiel est présent. Et les entreprises peuvent fournir le leadership nécessaire à faire avancer la société dans une direction plus constructive. L’affluente société occidentale doit s’éloigner de l’ultra matérialisme et du consumérisme excessif et ainsi simplifier son mode de vie et améliorer son fonctionnement. Par une plus grande simplicité dans nos vies et une meilleure efficacité, nous pouvons maintenir la même qualité de vie en réduisant par un facteur de 10 notre consommation d’énergie et de ressources. Des études réalisées en Europe montrent que ceci est techniquement possible. Ainsi, un des défis des entreprises est de trouver des moyens d’accroître leur efficacité, de réduire l’utilisation de matériaux, d’augmenter la production de services et de soutenir les processus de recyclage. Ce faisant, nous pourrons atteindre ces objectifs réalistes mais techniquement ardus.

Toutefois, nous devons également nous intéresser à une autre question, celle de rendre les pauvres plus autonomes. Nous devons leur enseigner comment s’impliquer directement dans leur propre développement, sans leur imposer notre vision occidentale du développement. Nous devons organiser ce processus de sorte que les populations puissent diriger leur propre développement, établir leurs propres valeurs et décider de leurs propres priorités dans l’utilisation des ressources. Enfin, nous devons bâtir des sociétés plus organiques, capables d’évoluer d'en bas vers le haut et de s’adapter à la grande diversité des situations présentes dans le monde.

Un outil pour atteindre ces objectifs : le principe de la recherche indépendante de la vérité. Ce principe reconnaît que la science est accessible à tous. Une fois que nous serons tous habitués à penser avec un esprit scientifique et en terme de processus, nous comprendrons comment surveiller l’environnement, observer les changements qui ont lieu et ajuster notre comportement en fonction de ces données. Cela étend le principe de subsidiarité à la science : comme chacun de nous devient un gestionnaire scientifique, chacun prend part au nouveau système opérationnel ; ainsi il nous devient possible de bâtir une société plus durable. C’est également le moyen de combiner la science et la religion, de relier des considérations éthiques et spirituelles à des principes scientifiques et technologiques. Ce faisant, nous pouvons créer un système à plusieurs niveaux, au sein duquel, à chaque niveau, ces processus opèreraient ensemble. Il en résulterait une nouvelle forme de civilisation auto génératrice, qui, en progrès perpétuel, apporterait prospérité à l’ensemble de la population mondiale.

Le monde des affaires joue un rôle essentiel en nous aidant à voir le monde dans une perspective systémique. Cette perspective nous est indispensable pour avancer vers une société plus durable. Nous y parviendrons en rétablissant des règles opérationnelles de base justes et en laissant le système évoluer. Si notre plus grand défi demeure dans le domaine économique, c’est parce que les règles actuelles qui gouvernent ses opérations sont en parfaite contradiction avec les besoins réels de la société. En bâtissant des entreprises plus durables, nous créons des économies plus durables. Et nous déclenchons les processus nécessaires pour parvenir à une civilisation plus durable. Ceci est notre but.


© Arthur Dahl, 2005
Last updated 22 June 2011